Retour sur la route des épices
Publié le
Photo prise chez Goumanyat, épices Thiercelin.
Insatiables explorateurs, les chefs dessinent de nouveaux itinéraires gustatifs pour réveiller nos papilles. Une fois le palais conquis par la maniguette d'Afrique ou la nigelle d'Egypte, on peut prolonger le plaisir en se procurant ces trésors dans les épiceries fines
Passez muscade, place au macis ! Si ces épices proviennent du même arbre, les connaisseurs disent préférer, à l'arôme boisé et familier de la noix - qui a embaumé, il est vrai, des générations de gratins dauphinois - "le goût vert, plus percutant", de la fine résille qui protège sa coque. Côté rhizomes, le galanga - repéré cet hiver chez Fauchon, blotti dans un foie gras de canard - empiète sur le territoire de son cousin le gingembre. Et l'oblongue fève tonka, jusqu'alors connue des seuls parfumeurs, intéresse les plus créatifs de nos pâtissiers, tel Sébastien Gaudard, qui aime marier ses notes vanillées aux œufs au lait de son enfance. Quant à la piquante maniguette d'Afrique, elle tient enfin sa revanche sur le poivre. Boudée des échanges commerciaux, dont elle fut la parente pauvre, elle relève à présent, dès les premiers beaux jours, marinades et salades de fruits.
Si ces nouvelles épices, inédites à nos palais, débarquent dans nos assiettes, c'est à l'invitation, toujours renouvelées, des cuisiniers, insatiables explorateurs de saveurs. "Parce qu'elles racontent l'histoire des hommes", justifie le très inspiré Olivier Roellinger, qui, avec son complice Michel Bras, part à la chasse aux trésors trois fois par an. Des côtes de Malabar, il a, l'hiver dernier, rapporté "un poivre noir très sauvage, long en bouche, fruité et boisé, moins piquant que le Ceylan", venu rejoindre, dans sa malouinière de Cancale, les 120 sensuelles nuances qui composent sa palette. Fasciné par les plantes à fragrance, comme le vétiver pet le benjoin, il dessine de nouveaux itiénéraires gustatifs "passant par le Moyen-Orient et le bassin méditerranéen". La Lyonnaise Sonia Ezgulian lui répond en écho avec la nigelle d'Egypte, "une petite graine noire anguleuse, au goût légèrement anisé et citronné", qui souligne un caviar d'aubergines, réveille farces, compotes et purées… et parsème même des cakes !
"Les épices ne sont plus utilisées de manière ethnologique, pour reproduire un plat de là-bas, fait remarquer Blandine Vié, auteur d'un précieux ouvrage chez Tana, mais deviennent des ingrédients de l'imaginaire." Un exercice dans lequel, au restaurant Petrossian, à Paris, excelle Serge Calvez : ses Larmes du Nil, un nectar pourpre à base de fleurs d'hibiscus et de sumac (des baies acidulées des rives de la mer Caspienne) sont destinées à "désucrer" les palais avant le dessert. Un prodigieux parfum à boire, qui a rejoint le cortège de sensations apparues à la fin du siècle dernier, lorsqu'il s'est agi d'alléger la cuisine. "Des chefs comme Alain Senderens et Michel Guérard ont redoublé d'inventivité, afin de transformer ces formidables exhausteurs de goût que sont les épices en ingrédients à part entière", insiste Jean-Marie Thiercelin.
"Les épices, ingrédients de l'imaginaire"
Héritier d'une lignée d'"artisans triturateurs" établie dans la capitale en 1809, cet érudit récite un stupéfiant abécédaire, de A comme ajowan (une graine à l'arôme de thym) à Z comme zédoaire (un autre cousin du gingembre) : 170 références, dont, outre les professionnels, disposent depuis six ans les particuliers, via Goumanyat, sa splendide boutique parisienne, et grâce à la vente par correspondance. "Grisés par ces promesses de voyages immobiles, désireux de réactiver une mémoire gustative parfois ensommeillée, les gens sont avides d'apprendre", remarque Yves Dubus, fondateur de la marque Saravane, présente dans les épiceries fines et sur Internet. En guise de leçons de choses, cet ex-biologiste concocte de subtils mélanges, comme l'oriental Zathar, dont les notes citronnées du sumac alliées au bouquet du thym et au caractère gras et doux du sésame, illuminent viandes blanches et poissons en papillote. Sous l’intitulé "Le Goût voyageur", Laurence Laconte commercialise, pour sa part, des coffrets contenant des mélanges d'épices de chez Thiercelin,
POUR DÉGUSTER
Paris
Restaurants
Le Pré-Verre, 8 rue Thénard, Paris (Ve)
> 01 43 54 59 47
Philippe Delacourcelle est également l'auteur de Ma cuisine à fleur d'épices, Solar, 192 p., 25 €
Petrossian, 144, rue de l'Université, Paris (VIIe)
> 01 44 11 32 32
Le Chamarré, 13 boulevard La Tour-Maubourg, Paris (VIIe)
> 01 47 05 50 18
Et aussi…
Le menu "route des épices" au 16 boulevard Haussmann, hôtel Ambassador, Paris (IXe)
> 01 44 83 40 40
Après le sumac, le chef Michel Hache y propose, au printemps, une découverte du galanga.
Epiceries
Goumanyat, 3 rue Charles-François Dupuis, Paris (IIIe)
>01 44 78 96 74
L'Epicerie du monde - Izraël, 30 rue François-Miron, Paris (VIe)
> 01 42 72 66 23
Fauchon, 24-30 place de la Madeleine, Paris (VIIIe)
> 01 47 42 60 11
Hédiard, 21 place de la Madeleine, Paris (VIIIe)
> 01 43 12 88 88
Tang Frères, 48 avenue d'Ivry, Paris (XIIIe)
> 01 45 70 80 00
Et aussi…
Les mélanges d'épices d'Olivier Roellinger "importés" par Colette, 213 rue Saint-Honoré (1er), 01 55 35 33 90, Da Rosa, 62, rue de Seine (VIe) 01 40 51 00 09, et Be, 73 boulevard de Courcelles (VIIIe), 01 46 22 20 20
En régions
Restaurants
Les maisons de Bricourt-Olivier Roellinger, rue Duguesclin, Cancale (Ile-et-Vilaine) > 02 99 89 64 76
Oxalis, 23 rue de l'Arbres-Sec, Lyon (Rhône)
> 04 72 07 95 94
Sonia Ezgulian est également l'auteur de Sur la route des épices, une cuisinière dans le sillage de Pierre Poivre, éd. Stéphane Bachès, 176 p. 32 €
Epiceries
Bahadourian, 20 rue Villeroy, Lyon
> 04 78 60 32 10
Saravane, 20 bis rue des Pêcheries, Arcachon (Gironde)
> 05 57 52 13 21
(liste des dépositaires sur demande) et www.saravane.com
Arax, 27 rue d'Aubagne, Marseille (Bouches-du-Rhône)
> 04 91 54 11 50
Et sur internet
www.terreexotique.com
www.aromatiques.com
Liste des dépositaires des produits Le Goût voyageur par e-mail : legoutvoyageur@aol.com et au 06 63 15 60 07.
A ouvrir
La Boîte à épices, par Blandine Vié, collection Les boîtes, Tana Editions, un livret et 40 fiches, 23 €
Faites tourner
- Tags: L'EXPRESSMAG, La Presse en parle…