La magie du Safran
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Jean-Claude Ribaut a signé chaque semaine dans Le Monde, du 8 octobre 1993 au 17 novembre 2012, une chronique consacrée à la table et au vin. Chroniqueur du magazine Régal, il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages gastronomiques : Voyage d'un gourmet à Paris (2013), L'Ousteau de Baumanière (2013), Rouge de honte (2011).
Le safran est à la fois une épice d'Orient et de chez nous. Grâce à l'agronome Olivier de Serres (1539-1619), cette plante à bulbe de la famille des Iridacées, poussait autrefois dans le Gâtinais et le Comtat Venaissin.
Il est normal que la Provence l'ait adopté. Le jaune, c'est la couleur de Van Gogh, celle exaltante des beaux "soirs safran" (Aragon) de cette région. il se crée encore des safranières, comme la Paradisière l'an passé, à Laval-sur-Luzège en Corrèze. La plus ancienne représentation du safran se trouve sur l'île de Santorin, "Safran" en arabe, veut dire jaune. Crocus sativus, c'est le nom botanique de la plante. Les fleurs, violet clair ou pourprées, viennent en septembre, comme les colchiques qui sont d'une autre famille. Trois styles et trois stigmates ou "flèches" emprennent cette fleur d'or et seront délicatement cueillis à la main. Ce sont ces parties de la plante, minces filaments dessechés qui se nomment safran. A l'achat il faut vérifier si les stigmates ont bien une forme caractérisitique de trompette, si leur couleur est rouge sombre et s'ils mesures de 2 à 5 cm. On a trouvé parfois de la barbe de maïs teintée, des fibres de grenade ou même des fibres de soie teintées vendues pour du safran ou plus subtilement, m^élées à quelques vrais pistils. Enfin, attention, à l'ajout d'étamines (jaunes) ou de styles (blanc) aux stigmates de safran car seule la partie rouge a un intérêt gustatif, malgré ce que racontent parfois les producteurs eux-mêmes.
Un arôme très puissant surtout si la fleur vient d'Orient et une couleur tenace, produit de la crocine, caractérisent cette magnifique épice. Un rendement faible, une récolte manuelle, des filaments perdant au soleil et à l'étuve presque tout leur poids,cela explique la rareté et le prix de cette épice qui n'a rien de commun avec la poudre jaunâtre - le carthame ou safran bâtard - vendue parfois en capsules sous ce nom. 150 000 fleurs sont nécessaires pour un kilo de safran parfait. Aussi, pour la vente, le mélange-t-on parfois avec des pétales du souci. Et aujourd'hui encore, dans la cuisine classique, l'utilise-t-on avec modération et précaution, dans la pella, le risotto et la bouillabaisse.
L'Espagne qui prétend être le pays du safran, "en produit sans doute aujourd'hui moins que la France" estime Jean Thiercelin, expert international, auteur de "Safran, l'Or de vos plats" (avec 56 recettes), héritier d'une famille vouée au safran depuis deux siècles. En fait, l'Espagne ne produit pas mais commercialise l'essentiel de la production iranienne de safran, la meilleure qualité disponible sur le marché. Car la moitié des sociétés exportatrices espagnoles sont aux mains des iraniens depuis l'embargo américain consécutif à la prise d'otages de 1979. Quant au safran en provenance d'Afghanistan, il n'est pas san rappeler l'iranien, car la frontière est poreuse. Est-il moins bon? "Chaque producteur de safran vous dira que le sien est le meilleur du monde" précise encore Jean Thiercelin. Il recommande aussi d'éviter le safran en poudre : 9 fois sur 10 ce n'est pas du safran mais un mélange avec une infime présence de safran, ou simplement un produit de substitution comme le curcuma, le paprika, le souci, voire même du sable ou de la brique pilée !
Le safran, comme beaucoup d'épices, tels que le curcuma longa au pouvoir linctorial puissant ou le bixa orellana, le roucou, à la fois épice et colorant chez les Indiens d'Amérique du Sud, sont des plantes à usages multiples.
Et selon des thèses savantes, ces plantes ont d'abord ont d'abord été domestiquées pour leur couleur, leur saveur et leur usage thérapeutique. Maintenant que fait retour la médecine phytothérapique, on peut envisager avec sérénité que le safran entrait dans la composition de l'élixir de longue vie, aux 17e et 18e siècles. On considère aujourd'hui qu'il est un médicament emménagogue, propre à conforter la nature féminine et, comme toutes les épices, favorise la digestion. La Maison Thiercelin, fidèle à la tradition des triturateurs d'épices, importe et transforme le safran : il faut goûter la moutarde au safran ou le sirop de safran qui rehausse une vinaigrette et nappe délicatement les crustacés (3 rue Charles-François Dupuis 75003 Paris, Tél. 09 54 86 05 66)
Note aux lecteurs : La photo centrale de l'article est une illustration de Carthame et non de safran.