Zoom sur la MOUTARDE
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Nous abordons ici les moutardes et produits apparentés, puis dans un prochain post le raifort et le wasabi.
Généralités et Aspect botanique
Le terme moutarde désigne à la fois les graines de plantes appelées moutardes et qui appartiennent à la famille des Brassicaceæ, et les divers condiments obtenus à partir de ces graines.
Les diverses espèces de moutardes se sont acclimatées à toutes les régions du monde. On les rencontre à l’état spontané dans le bassin méditerranéen, en Asie centrale et en Amérique du Nord. On distingue trois variétés principales : la moutarde noire, Brassica nigra Linné, la moutarde blanche, Sinapis ou Brassica alba Boissier et la moutarde brune indienne, Brassica juncea L. Cosson. Plantes annuelles, elles peu- vent atteindre jusqu’à un mètre de hauteur et portent des fruits de 10 à 20 cm de long, appelés siliques, renfermant des graines rouges, brunes, jaunes ou blanches selon les variétés.
Chez les Romains, la moutarde blanche, est en fait du sénevé ou napeas.
La farine de moutarde était autrefois utilisée en cataplasme pour soigner les affections pulmonaires. La rubéfaction de la peau causée par les propriétés révulsives de la moutarde laissait au malade des souvenirs cuisants inoubliables. Désignant anciennement le condiment élaboré à partir de graines de sénevé broyées et de vinaigre ou moût de vin (Mustum ardens chez les Romains), le terme “moutarde” a été étendu à la plante
Graines de moutarde noire, Brassica nigra Linné
Graines de moutarde jaune, Brassica juncea L.Cosson
produisant ces graines. Pour l’anecdote, la moutarde fut donnée en blason à la ville de Dijon par le Duc de Bourgogne, Philippe Le Hardi en 1382, d’où plusieurs légendes cocasses.
La fabrication du condiment, moutarde
Il n’existe pas une seule recette de moutarde, mais de nombreuses, régionales. Les techniques de fabrication sont jalousement gardées secrètes par les moutardiers. Diverses herbes aromatiques (estragon, céleri, persil, cerfeuil, ciboulette, livèche, thym, marjolaine) et épices (girofle, muscade, piments, curcuma, cardamome, coriandre, carvi, gingembre, poivres, cannelle, safran...), voire des fruits (cassis) ou des légumes (tomate, poivron, ail ou échalote), peuvent entrer dans les macérations de préparation des moutardes.
Les graines de moutarde (moutardes noire, blanche et/ou brune) sont mises à macérer pendant environ une heure avec un liquide, dont la composition (verjus1, vinaigre, vin, sel, acide tartrique, eau...) varie avec les recettes. La préparation est alors broyée plus ou moins finement et tamisée pour éliminer les téguments. Souvent, un peu de sucre permet de masquer l’amertume. La pâte obtenue est homogénéisée pour éliminer l’oxygène et additionnée de sulfites pour éviter les phénomènes d’oxydation. Puis, elle est stockée, soit de façon traditionnelle dans des foudres de chêne, soit dans des cuves en acier inoxydable.
1 Le verjus est le jus acide obtenu à partir de raisins blancs n’ayant pas mûri.
Parmi les diverses sortes de moutardes, citons :
• la moutarde de Dijon, dont les graines ont
été préalablement décortiquées. Fabriquée avec du verjus, du vinaigre de vin blanc, du sel et quelques épices, elle possède une saveur fruitée et plus ou moins d’amertume selon les préparations. En Champagne, le vin utilisé est du champagne.
• la moutarde de Bordeaux, aromatisée avec de l’estragon. C’est une moutarde douce et légèrement aigre,
• la moutarde de Meaux, produite à l’origine par des moines, est fabriquée uniquement à partir de vinaigre et de graines de moutarde noires et/ou brunes, entières ou broyées. C’est une moutarde, dite à l’ancienne, commercialisée dans des pots en grès et dans laquelle demeurent des graines entières.
• la moutarde violette au vin et au vinaigre, originaire de la région de Brive.
• la moutarde de Bénichon, consommée en Suisse romande à l’occasion de fêtes. Sa composition comporte de la farine et du vin cuit. Elle ressemble plus à une confiture dont on tartine le pain.
• la moutarde anglaise fabriquée à partir de graines de moutarde blanche et/ou jaune, de vinaigre et de sucre. Elle est douce et fortement épicée avec du curcuma, du gingembre et d’autres épices
• la moutarde allemande de Bavière, riche en herbes aromatiques et de saveur très douce,
- etc.
La composition des Moutardes et leur pouvoir piquant et brûlant
Les graines de moutarde, comme la plupart des plantes de la famille des Brassicaceæ (choux, choux de Bruxelles, brocoli, choux-fleurs, cresson, raifort, wasabi...) contiennent des composés au goût piquant que l’on appelle des glucosinolates. Au cours du broyage des graines en présence d’eau ou lors de la fabrication de la moutarde, les glucosinolates (sinalbine pour la moutarde blanche, sinigrine pour les moutardes noire et jaune) sont transformés sous l’action d’une enzyme, la myrosinase, en composés qui sont responsables des propriétés piquantes et suffocantes, les isothio-cyanates, dont le plus puissant est l’allyl-isothiocyanate représentant plus de 90 % de l’huile aromatique de moutarde noire ou jaune. On attribue aux isothiocyanates des propriétés bactéricides et insecticides. De plus, certaines recherches récentes ont montré que ces composés réagissaient sur des cellules précancéreuses. En particulier, l’allyl- isothiocyanate des moutardes aurait un effet de prévention des cancers du colon. Dans le cas de la moutarde blanche, lors de la fabrication du condiment, l’isothiocyanate qui se forme est moins puissant que celui de la moutarde noire, et de plus instable, ce qui explique que les
moutardes fabriquées à partir de graines de moutarde blanche sont moins fortes et bien plus douces, et que toutes les moutardes s’altèrent au cours de la conservation. Il est donc recommandé de les consommer lorsqu’elles ont été fraîchement préparées et de conserver les pots, une fois ouverts, au réfrigérateur.
L’action de la chaleur sur les moutardes
Les composés responsables du piquant et du brûlant des moutardes, sinigrine et si- nalbine, et les isothiocyanates qui en dérivent, sont sensibles à l’action de la chaleur. Plus le traitement thermique est énergique et plus les moutardes perdent leur saveur. La note de vinaigre disparaît progressivement et l’arôme évolue vers des notes de cuit, soufrées, agréables, assez proches de celles de chou ou de brocoli braisés.
Test olfactif et gustatif
La poudre de moutarde ne présente pas l’odeur caractéristique que l’on a en ouvrant un pot de moutarde forte. Si, nez bouché, on suce son doigt mouillé imprégné de poudre de moutarde, on perçoit en bouche un léger côté piquant et brûlant. Lorsque l’on relâche la pression sur le nez, cette sensation demeure sans s’amplifier et progressivement, un arôme typique de moutarde, peu puissant, apparaît.
Si l’on suce une vingtaine de graines de moutarde jaune, aucun goût n’apparaît. Lorsque, nez bouché, on se met à mâcher ces graines, apparaît une sensation de piquant et de brûlant sur les côtés de la langue et dans l’arrière-gorge. Elle est analogue à celle de radis rouges ou de radis noirs piquants et elle persiste. La libération du nez renforce la sensation et apporte en plus une légère note de moutarde.
Avec la moutarde noire, la même expérience produit des sensations comparables ; toutefois, l’arôme moutarde est plus prononcé lors du relâchement du pincement du nez.
Utilisation des moutardes
L’usage de la moutarde est connu depuis la plus haute Antiquité. Dans la Rome anti- que, la moutarde avait une place privilégiée parmi les épices. La première recette connue de moutarde de table remonte au premier siècle. C’est au Moyen-Âge que la production se développe en Europe centrale.
Certes, l’utilisation la plus importante des graines de moutarde concerne la fabrica- tion du condiment moutarde. Mais elles sont aussi partie prenante de nombreux mélanges d’épices et entrent dans la composition de curries. Les graines de moutarde sont aussi ajoutées dans la préparation de nombreuses sauces.
Le point de vue des acheteurs
Les spécifications de l’ESA (European Spice Association) concernent le taux de cendres (maximum 6,5 % ) et la teneur en eau (maximum 10 %). Il sera donc plus efficace de se fier à une bonne analyse des critères physiques du produit pour se faire une idée de la qualité.
Les trois critères à retenir : voir (et toucher), sentir et goûter
1. VOIR : Il faut accorder un soin particulier au contrôle visuel et vérifier :
a. d’une part, qu’il y a le moins possible de matières étrangères à l’épice, c’est-à- dire : absence de poussière, sable et autres matières étrangères ;
b. ensuite, qu’il n’y a pas trop de restes floraux, c’est-à-dire : brindilles, feuilles, graines abîmées ;
c. enfin, qu’il y a une certaine homogénéité dans la couleur des graines.
2. SENTIR : les graines de moutarde n’ont pas d’odeur sauf après macération dans un liquide, ce sera donc l’aspect gustatif qui sera plus déterminant.
3. GOÛTER : on doit retrouver les saveurs présentées dans le test ci-dessus. Un manque de notes piquantes et brûlantes indiquera une épice éventée ; en effet, les composants qui donnent ces notes sont assez instables.
La production mondiale
En ce qui concerne la moutarde blanche (Sinapis alba L.), les principaux pays pro- ducteurs sont, en Europe, l’Angleterre, le Danemark, la France, la Hollande, la Hongrie, la Pologne, la Suède et la Suisse ; en Amérique du Nord, le Canada et le Nord des Etats-Unis ; en Amérique du Sud, l’Argentine et le Chili ; et l’Australie.
Pour la moutarde noire (Brassica juncea L.) les principaux pays producteurs sont, en Asie, l’Inde, le Pakistan, la Chine ; en Europe, l’Allemagne, l’Angleterre, la France, la Hollande, la Hongrie et la Po- logne ; et l’Amérique du Nord.
Article réalisé par Professeur Hubert Richard et Jean Thiercelin